Au cours d’un workshop, un participant relate la scène suivante. En plein milieu d’une réunion en visioconférence à écrans éteints, entendant des bruits « étranges » voire « suspects » (sic), il demande, en tant que manager, à ce que l’on active toutes les caméras. Stupéfaction, l’une de ses collaboratrices, alors toute jeune maman, est en train d’allaiter son nouveau-né. Le participant nous fait part de son ahurissement et s’attend manifestement à ce que nous partagions sa stupeur. Je veux comprendre ce qui l’anime. Je creuse alors son ressenti. Intérieurement, je m’attends à ce qu’il exprime par exemple sa gêne face à la nudité de sa collaboratrice ou ce genre de considérations. Mais pas du tout ! Ce qui choque profondément ce responsable d’équipe, c’est que, de toute évidence, sa collaboratrice ait le toupet de travailler tout en gardant son enfant (de quelques semaines, je le rappelle) alors que lui, il paie des gens pour s’occuper de ses enfants. Son écœurement ne se situe donc pas à un niveau culturel ou sociologique, mais bien à un niveau bassement matériel. Sa collaboratrice ne dépense pas d’argent alors que lui, si, et c’est bien cela qui le dérange. Le reste lui est bien égal, il nous le confirme à plusieurs reprises.

Inclusion VS péché capital

Cet épisode est particulièrement révélateur d’un obstacle majeur à toute stratégie d’inclusion : j’ai nommé la jalousie, à savoir ce sentiment d’envie, de désir d’obtenir les avantages dont jouit une autre personne. Pensez à ce.tte manager aigri.e qui refuse que d’autres obtiennent aisément ce qu’il.elle a obtenu à la sueur de son front. Sous cet éclairage, les fossés entre générations prennent une tout autre dimension. Le problème n’est pas d’accepter des aménagements d’horaire ou l’assouplissement d’une culture. Non. Le problème réside très précisément dans l’insupportable idée que d’autres n’aient pas à endurer les mêmes épreuves que celles qu’ont dû traverser les collègues qui les ont précédés. Puisque j’ai dû me battre, il faut que les autres en bavent au moins autant.

Briser le cercle vicieux

Comment dépasser ces réflexes de rejet de l’autre et de replis sur soi ? En travaillant justement sur l’inclusion, mais de manière globale, en veillant à aborder la diversité sous tous ses aspects, sous peine d’engendrer des crispations, voire des frustrations et une fragmentation du groupe que l’on voulait précisément fédérer. C’est là toute la problématique des stratégies de diversité et d’inclusion qui se focalisent uniquement sur l’un ou l’autre aspect de la diversité. Travailler sur le genre uniquement revient à démultiplier les crispations hommes/femmes. Lutter exclusivement contre le racisme et toute forme de discrimination dite raciale équivaut à stigmatiser plus encore ceux qui en faisaient malheureusement déjà les frais.

Mais quelles diversités aborder alors ?

Toutes. Sans exception. Ou en tout cas au moins toutes les formes de diversités présentes au sein de votre groupe. Cela vous permettra de concentrer vos efforts et vous évitera de vous disperser. Le plus simple consiste avant tout à prendre conscience des diversités observables au sein de votre groupe. En ressources humaines, on aime dire que « Ce qui ne se mesure pas n’existe pas ». C’est assez vrai. Tant que vous ne saurez pas quels aspects de la diversité aborder, il vous sera difficile de mettre quoi que ce soit d’efficace en place. Si vous travaillez par exemple en entreprise, cette étape vous permettra aussi d’objectiver la répartition des différents groupes sociologiques selon les postes qu’occupent les différents individus dans la société. Vous mettrez peut-être en évidence des gaps ou des plafonds de verre.

Quête d’harmonie

Passée cette étape d’objectivation, il vous restera à mettre en place un plan de diversité et d’inclusion tenant compte de toutes les spécificités de votre groupe cible, en veillant à accorder autant d’importance à chaque facette de la diversité. Ainsi, chaque individu se sentira reconnu et valorisé dans cette approche résolument inclusive. Et c’est justement là que réside le succès d’une politique d’inclusion réussie. Pour m’ouvrir à l’autre, je dois être en harmonie avec mon identité. Avant d’envisager de contribuer à une culture d’inclusion, je dois me sentir suffisamment en paix avec moi-même pour ne pas envier mon prochain. Tant que je reste dans la rancœur, l’amertume, le sentiment d’injustice, je ne suis en effet pas disponible à l’autre.

Panser les blessures

Le principal obstacle à l’inclusion résiderait alors dans nos blessures narcissiques[1]. Pour rappel, l’identité se développe au travers de deux dimensions symétriques : l’identification d’une part, qui permet de se construire à l’image de l’autre, et la différenciation d’autre part, qui permet de se construire en tant qu’individu. Celle-ci amène à être soi, à vivre sa différence en se respectant soi-même et en respectant l’autre. Ce processus est impératif pour assurer le fondement de son identité et justement pour s’ouvrir à l’altérité. C’est en effet quand je me sens personnellement compris.e, reconnu.e. et valorisé.e que je ne peux développer une bonne estime de moi et manifester de l’empathie à l’égard de l’autre. C’est le premier enseignement du secourisme : avant de prendre soin de la victime, tout secouriste veille d’abord à sa propre sécurité. Il en va de même pour l’inclusion. Avant de pouvoir m’ouvrir à l’autre, j’ai effectivement besoin de savoir que le groupe est ouvert à moi.

Photo by Diana Polekhina on Unsplash


[1] https://www.psychologies.com/Regards-de-psys/Comprendre-les-blessures-narcissiques