Dans le cadre de mes workshops et ateliers Khaleǐdoscope®, j’ai eu l’occasion de donner une animation dans une école primaire de Bruxelles. Au détour des échanges, ce témoignage, d’une rare violence : « Ma mère m’a habillé en fille pour me punir. ».
Cette phrase à elle seule m’a fait l’effet d’un uppercut. Mais pourquoi ? Décortiquons ensemble les messages qu’elle véhicule et tâchons d’y répondre.
Préambule
Avant toute chose, sache que je me méfie de la propagande, quelle qu’elle soit. Je me tiens généralement à l’écart de tout mouvement de foule. Je suis spontanément attirée par le sort des victimes auxquelles j’apporte toute l’aide que je peux, mais je refuse en bloc toute récupération politique ou commerciale. J’évite donc scrupuleusement de relayer des informations dont je ne connais pas l’origine, surtout si elles sont de nature sensationnaliste. J’ai décidé de contribuer au bien-vivre ensemble, je refuse de semer la zizanie et le chaos.
Si je décide de relayer ces propos, c’est parce qu’ils m’ont été transmis de première main et que je veux en démontrer tout le pouvoir délétère, justement pour qu’on arrête de proférer de telles horreurs.
M’a habillé
C’est bien un garçon qui parle. Aucune faute de frappe dans le titre.
Pour me punir
Il s’agirait donc d’une punition… Selon le Robert, punir quelqu’un consiste à le frapper d’une peine pour avoir commis un délit ou un crime, ou à le frapper d’une sanction pour une faute répréhensible. Soit. Je ne rentrerai pas dans le débat sur l’utilité ou non des punitions. J’ignore également ce qui a pu conduire cette femme à cet acte. Soit.
Mais, personnellement, si on me force à porter des vêtements, je le ressens non pas comme une sanction mais bien comme une « humiliation ». Que ressentiront les autres ? De la pitié pour mon sort… ou de la moquerie devant mon accoutrement ? Après, j’ai deux options : soit je vis très mal la situation et j’en ressors psychologiquement brisé.e, soit j’y vois une occasion inespérée de me mettre en valeur en faisant le pitre. On pourrait aussi imaginer une troisième réaction qui consisterait à… ne pas manifester la moindre réaction. Après tout, des vêtements restent des vêtements, quels qu’ils soient… mais cela requiert un degré de maturité que peu d’enfants ont à l’école primaire.
En fille
Cela voudrait donc dire que la pire des choses qu’on puisse faire pour punir « un garçon » serait de l’habiller « en fille » ? C’est le coup de grâce. Nous sommes en 2021 et des adultes estiment qu’habiller un garçon en fille est la pire des punitions qu’on puisse lui infliger. J’essaie de comprendre. Alors je décortique. Ça veut dire quoi « habiller en fille » ? En jupe ? En robe ? En rose ? Avec des motifs fleuris ? En quoi serait-ce la punition suprême ? Il arrive à la moitié de la population de porter ce genre de vêtements sans que ce soit un problème… Et encore, il y a plein de « filles » qui ne porteront jamais ce genre de vêtements.
Ma mère
La sanction est donc infligée par un parent. A savoir quelqu’un « qui a pour tâche d’élever et d’éduquer son enfant et de le préparer pour sa vie adulte ». Et cette personne prend délibérément la décision d’humilier sa progéniture en lui faisant porter des vêtements d’un genre qui ne lui correspond pas. Plus grave encore selon moi, c’est la « mère » qui estime qu’habiller son fils en « fille » lui apprendra à vivre. Je n’ose imaginer le système de valeur qu’a pu intégrer cette femme et qu’elle transmet à son rejeton.
Nous ne sommes pas dans une vidéo militante où un humoriste se travestirait en femme le temps d’un tournage pour dénoncer les agressions quotidiennes dont sont victimes les représentantes du « sexe faible ». Non. Il n’y a pas ici de volonté d’éducation. Juste de l’humiliation. Pure et simple.
Le message
Quelle leçon retiendra cet enfant ? Et, par corollaire, ses camarades de classe ? Croyez-vous vraiment qu’il apprendra à ne plus commettre la faute qui lui a valu cette sanction « exemplaire » ? Je crains plutôt qu’il garde surtout en tête que s’habiller en fille est l’humiliation suprême, parce que c’est bien le message implicite que véhicule cette phrase.
L’antidote
Ce genre de (micro)agression contient à elle seule tellement de violence qu’il est impératif d’y administrer un antidote. Ou plutôt des antidotes, tellement des dégâts collatéraux peuvent en être profonds.
Je fais preuve de courage et je dénonce les faits. Cet épisode est grave, très grave et demande qu’on y réagisse. Donc acte.
Je montre de la bienveillance. Je m’adresse à l’enfant. J’essaie de dédramatiser la situation. « Ok, tu as fait une bêtise et tes parents ont voulu te punir. Ce n’était pas forcément la meilleure manière. Tu sais, nous n’avons pas de mode d’emploi quand nous devenons parents ».
Je suis humble. Je ne connais pas les tenants et aboutissants. Je ne connais pas cette famille. Je ne suis personne pour juger. Mais je sens en moi qu’on ne peut pas simplement baisser les yeux. Alors je prends contact avec les parents, pour comprendre.
Je témoigne de l’empathie si je vois que le jeune garçon se sent mal dans des vêtements qui ne lui correspondent pas. « Tu sais, moi, ma maman elle me forçait aussi à porter des trucs que je n’aimais pas… soit c’était les anciennes chemises à carreaux de mon grand-frère, soit c’était d’horrible jupe-culotte. ».
Je peux jouer sur la responsabilisation du bambin. « Qu’as-tu bien pu faire pour pousser ta maman à bout ? »
Ou sur l’équité. Je peux faire observer qu’il n’y a pas forcément de tenues de filles ou de garçon, qu’on peut porter toutes les couleurs et tous les motifs si ça nous chante. L’important étant de se sentir bien dans sa peau… et dans ses fringues.
Je pourrais aussi stimuler l’enfant. « Les habits que nous portons ne nous façonnent pas. Quoi que tu aies sur le dos, tu restes qui tu es, avec tes forces et tes faiblesses ».
Au quotidien, je suis proactif.ve : je brise les stéréotypes et véhicule un message d’ouverture et de bienveillance. J’ai une pensée toute particulière pour un surveillant éducateur bodybuildé au superbe t-shirt rose fluo. Il avait magnifiquement recadré des caïds de bac à sable qui voulaient interdire à l’une de mes filles de jouer à l’établi de mécanicien avec ses camarades.
Ou je pourrais déjà, tout simplement, faire preuve de souplesse si j’assiste à l’événement et ne pas stigmatiser l’enfant. C’est justement mon attitude face à la situation qui va en amplifier ou en désamorcer les effets.
Et toi? Que ferais-tu ?